Annie Mignard  écrivain

sur mon travail

Annie MIGNARD




              Les ateliers d’écriture

                     


Cette interview par l’écrivain François Coupry, l’un des responsables alors de la Maison des écrivains, est parue dans le numéro 2 du Cahier de la Maison des écrivains, consacré aux ateliers d’écriture.

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François Coupry: Grâce aux services de la Maison des écrivains, vous avez réalisé, dans un lycée technique de la région parisienne, des ateliers d’écriture. Etait-ce une première expérience?


Annie Mignard: J’avais déjà fait des ateliers d’écriture avec des adultes, élèves journalistes ou volontaires. Ils avaient tous derrière la tête l’idée de devenir écrivain, mais se sentaient bloqués et espéraient se débloquer par une sorte de “thérapie d’écriture”. C’est en réalité un leurre, et une demande à laquelle, en fait, je ne pouvais répondre. On ne devient pas écrivain dans un atelier d’écriture. Par contre, avec des élèves, des scolaires, et en plus des scolaires “techniques”, qui a priori ne demandaient rien, ne fantasmaient rien, je pouvais leur apporter un savoir-faire, une ouverture d’esprit, une connaissance, à partir d’un travail pratique.


F.C.: Comment ça s’est passé exactement?


A.M.: Plusieurs professeurs étaient intéressés par ces ateliers d’écriture. J’ai défini avec eux ce que j’envisageais de faire, et les modalités de leur participation. Il y avait donc plusieurs classes, entre vingt et trente élèves chacune, de la seconde à la terminale. J’ai fait quatre séances par classe. Comme nous ne disposions que de peu de temps, j’avais demandé aux professeurs de faire choisir auparavant un sujet à la classe. Puis, sur ce sujet, la classe réalisait une nouvelle “en arbre”.

    C’est-à-dire: le premier paragraphe, la situation de départ, était écrit par la classe entière et c’est toujours assez long, à cause des dissensions, des investissements personnels. Puis on trouvait deux ou trois “sorties”, suites possibles, à ce début. La classe se divisait en plusieurs groupes, chacun prenant, selon ses goûts, telle ou telle sortie. Puis chaque groupe écrivait le paragraphe suivant, trouvait encore plusieurs sorties, et se divisait à nouveau. Ainsi de suite, jusqu’à la chute, le paragraphe final, que chaque élève écrivait seul.

    Le principe était bien sûr souplement adapté à chaque cas. Donc, à partir d’un sujet et d’un début commun, on obtenait autant de nouvelles que d’élèves. Les professeurs restaient dans la classe, se prenaient au jeu, en profitaient pour observer les élèves, mais n’intervenaient pas.


F.C.: Est-ce toujours ainsi que se déroule un atelier d’écriture?


A.M.: Non. En général, les ateliers d’écriture prennent chaque individu isolément. Par exemple en lui faisant écrire une histoire de son choix, avec juste une contrainte quelconque. L’intérêt de cette méthode “en arbre”, c’est l’abattage: dans la contrainte d’un temps très court, les faire travailler en groupe, frotter leur imagination à celle des autres, mais aussi laisser ressortir leur individualité à leurs propres yeux, puisqu’à partir d’un seul thème, il y avait au paragraphe final une trentaine d’interprétations.


F.C.: Quels sont les sujets de départ qui ont été choisis par les élèves?


A.M.: J’ai découvert qu’en particulier dans les classes de seconde, leur point de départ était métaphysique: “la réincarnation”, ou bien “retrouver ‘vivant’ un ami mort”, ou encore “une femme qui garde les yeux fermés en refusant de vivre pour se souvenir”. A partir de tels sujets, certains obliquaient vers le “fantastique”, d’autres vers le “comique”, d’autres vers le “réalisme”, selon leur goût, mais aussi selon l’influence antérieure de leur professeur.

    Au fur et à mesure de l’élaboration de leur récit, je leur expliquais les règles élémentaires de construction, par exemple de savoir au début “Qui parle?”, “Quels sont les personnages?”, “Quelle est la situation?”, “Quel est le point de vue?”, “Quel est le temps?”. Je leur montrais qu’une nouvelle a un fil, soit évident, soit souterrain, et qu’il faut penser à la logique interne: je leur disais que la chute éclaire toute la nouvelle, et qu’il ne faut plus se demander ce qui se passe après... Tout cela est très grossier, mais efficace.

    Dans chaque groupe, sur le tas, je répondais aux problèmes précis qui les arrêtaient. Pour un thème aussi abstrait que “la réincarnation”, trouver un début concret était difficile: un élève allait au tableau et notait les choix possibles, les personnages, qui est mort?, le lieu, etc. Au début, ça flottait, mais à partir du moment où les choix se concrétisaient, où la classe se mettait à voir les personnages, à les entendre, à les sentir, tout allait comme sur des roulettes.


F.C.: Qu’est-ce que ça leur a apporté, aux élèves?


A.M.: Tous étaient très contents. Ils avaient fait quelque chose, à quoi ils ne s’attendaient pas. D’autant que leurs textes seront imprimés par un collège voisin. Quelques élèves avaient le fantasme de l’écrivain, se prenaient pour des écrivains ou avaient envie de le devenir, et donc étaient plus lourds à manier, ils s’arrêtaient à faire du style, ils se regardaient écrire. Mais c’étaient des exceptions. Toute ma manière de faire tendait à les jeter à l’eau, sans se poser le problème de la page blanche. Ils ont appris beaucoup de choses concrètes - que d’ailleurs ils notaient en douce! -, une logique, une rigueur de construction.

    Cela dit, j’ai été affolée par la nullité de l’orthographe et de la grammaire d’élèves qui allaient passer le bac dans quelques mois. J’ai été aussi consternée par la pauvreté de la bibliothèque de ce lycée, que d’ailleurs les élèves fréquentent peu. Or, pour écrire, il faut d’abord lire.


F.C.: Et vous, en tant qu’écrivain, qu’est-ce que ça vous a apporté?


A.M.: Deux choses. J’ai rencontré des enfants, des adolescents, j’ai vu l’atmosphère d’un lycée de banlieue. Et aussi, moi qui saute toujours par la fenêtre avant d’écrire, j’ai trouvé un moyen pour me calmer et me mettre plus facilement au travail, c’est de me dire comme je leur disais: “Tu as un sujet, tu le définis, traite-le au mieux.”



                                               © Annie MIGNARD