Annie Mignard  écrivain

Annie MIGNARD



                    Lumière





Lumière” est extrait de ma conférence-débat, présentée par Alain André, au séminaire d’Aleph (1991), sur le thème: “Qu’est-ce qu’écrire?”

Laquelle conférence est partiellement reproduite dans “L’Art, la vie”, “Comment j’écris en pratique” et “C’est l’inconscient qui travaille”, accessibles dans cette partie “Sur mon travail”

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Puisque vous m’interrogez là-dessus, j’écris latin. Du latin un peu changé, disons. Je suis née à Nice, j’ai vécu à Marseille puis à Nice, j’ai fait du latin, du grec, de l’ancien français, du provençal, j’entends le nissart, j’ai de la famille italienne. En plus dans ma famille, on ne parlait pas, ce qui simplifie les habitudes de langage. Ma façon d’écrire s’en ressent. Je n’écris pas les brumes du Nord. Il y a des romans qui sont de la brume du Nord et que j’aime, mais c’est une lumière de brouillard qui n’est pas la mienne.


          Tout se ramène à de la lumière


Je parle de lumière parce qu’il me semble qu’en littérature, comme en peinture par exemple, et peut-être au cinéma et peut-être en musique aussi et en architecture, il me semble qu’en fait tout se ramène à de la lumière. Je dirais que par exemple Proust, c’est de la lumière tremblée, c’est un impressionniste, c’est le Debussy ou le Ravel de la littérature, c’est Monet ou Auguste Renoir en écriture, c’est la même chose et tout se ramène à de la lumière. Pour moi, Proust est une lumière tremblée, un peu de brouillard, un peu de brume, une lumière qui tremble sur les mots, de mot en mot, comme des milliers de paillettes ou de reflets.


Moi, ma lumière, c’est plutôt une lumière de la Méditerranée. A Nice il y a au maximum deux saisons. Il n’y a ni automne ni printemps. Il y a l’été, qui dure pratiquement toute l’année, et après il y a l’hiver qui ressemble beaucoup à l’été. C’est très fatigant, insupportable, cela donne un manichéisme de vie, de pensée et de références, et pour moi, l’heure la plus dangereuse est midi, quand le soleil est au zénith. C’est l’heure de la mort, là où il y a le plus grand soleil et où le ciel est blanc. Depuis, j’ai vécu sous d’autres cieux, ma lumière est moins manichéenne que ça, mais c’est quand même une lumière très dessinée, très nette.


         J’écris latin


J’ai dit: j’écris latin. Dieu sait pourtant que je n’aimais pas le latin, convulsif, auquel je ne comprends rien, avec ses ablatifs absolus, le latin de Tacite, eh bien au début j’écrivais un peu comme ça. Depuis je me suis assouplie, et quand je dis aujourd’hui: écrire latin, c’est signifier: écrire de façon ronde, comme des galets, de façon concrète et ronde et tactile si possible, des phrases qui sont posées, en s’articulant bien sûr, mais comme des galets. Quand le sujet l’exige, évidemment je peux faire de longues phrases. De toute façon c’est l’histoire qui commande la voix, ce n’est pas moi qui donne ma voix à l’histoire, c’est l’histoire qui commande ou qui demande ce dont elle a besoin.


     Écrire de la prose est semblable à écrire de la poésie


Même dès mon premier roman, La Vie sauve, que j’ai écrit dans une ingénuité et une terreur totales, dès mon premier roman, je pensais qu’écrire de la prose était semblable à écrire de la poésie. C’est-à-dire que les mots étaient posés et qu’ils avaient un certain rythme, et que si, par exemple, pour enlever une répétition que je n’avais pas vue, j’enlevais dans ma phrase un mot de deux syllabes pour mettre un mot de trois syllabes, ou inversement un mot de trois syllabes pour mettre un mot de deux syllabes, toute ma phrase se cassait la figure, et toute la page, tout le roman se cassait la figure. C’est comme un mur de briques, on enlève une brique et tout tombe. J’avais peut-être une vision un peu raide de la poésie toute en rythme, et pendant assez longtemps je me tenais comme ça fermement aux phrases que j’avais écrites, sans pouvoir ni les changer ni les assouplir, parce que c’était une question de rythme, mes briques étaient mises de cette façon. Après, j’ai cassé ça. Maintenant j’écris d’abord ce qui est clair, d’abord je travaille sur ce qu’il y a à dire, et ensuite je vois si mes briques se mettent en place, je travaille sur mes briques.


        © Annie MIGNARD


sur mon travail

Manuscrit_Tusco.html